Cela Peux Sauver Des Vies
Un homme marche dans les rues d'Amsterdam lorsqu'il entend un cri suivi d'un plouf. Il fait froid. Il a une destination en tête. Il n'est pas sûr de ce qu'il a entendu. Alors, il ignore le bruit. Mais avec le temps, une conclusion horrible et inéluctable s'impose à lui : quelqu'un a sauté ou est tombé dans le canal, et il aurait pu le sauver. De son indifférence est née la mort d'une personne innocente.
Ceci est, bien sûr, l'intrigue de La Chute d'Albert Camus, son roman de 1956 sur la déchéance d'un avocat de la défense parisien. Pourtant, ce conte fictif est aussi une allégorie : des millions d'Européens, dont beaucoup dans ces mêmes rues d'Amsterdam, n'avaient-ils pas détourné les yeux du sort des Juifs quelques années plus tôt ? Ce message ne résonne-t-il pas encore aujourd'hui ? Des millions de personnes meurent chaque jour de maladies et d'accidents entièrement évitables. Des millions viennent de périr lors d'une pandémie, dont un certain pourcentage inutilement. Si d'autres (et leurs dirigeants) avaient été un peu plus disposés à faire autre chose que hausser les épaules, ils auraient pu être sauvés.
Dans ses Méditations, Marc Aurèle se fustige pour les injustices dont il est coupable, non pas pour les choses qu'il a faites, mais pour celles qu'il n'a pas faites. « Tu peux aussi commettre une injustice en ne faisant rien », écrit-il. Marc Aurèle était un grand dirigeant et, de tous les témoignages, une bonne personne, mais comme nous tous, il aurait pu faire plus. C'est cela, à la fin de sa vie, qui le hantait.
Cela te hantera probablement aussi. Tu pourrais faire plus. Tu sais que tu devrais faire plus. Mais par où commencer ? Tu te dis que si quelqu'un tombait à l'eau près de toi, si quelqu'un mourait de faim près de toi, tu l'aiderais. Mais ils sont là. À un vol d'avion de distance. Dans un autre pays.